Vincent Van Gogh (www.idixa.net/Pixa/pagixa-0801080455.html)

Ce fils d'un pasteur calviniste a porté le poids de sa généalogie. Il s'est voulu prédicateur, évangéliste et prêtre ouvrier avant de devenir peintre (le résultat d'un gigantesque effort). C'est ce qu'on appelle une vocation. Il n'a pas eu tort de se prendre pour le messie. Comme Albert Aurier l'a écrit de son vivant (janvier 1890), il a anticipé la loi qui deviendra, après et avec lui, celle de l'art contemporain : la loi de l'excès. Il a vécu cette loi au plus intime, dans ses propres conflits. Après avoir fixé la peinture comme on regarde le soleil, il a mis en route une révolution qui passait par sa chair (sur ce plan, il n'a qu'un seul successeur : Antonin Artaud). Le prix a été lourd. Il a perdu sa confiance en lui, sa foi en l'avenir, et aussi les rares appuis auxquels il tenait : Gauguin (figure paternelle) ou son frère. L'effondrement était-il inéluctable?

Pendant sa longue et douloureuse période d'apprentissage (il a 28 ans quand il réalise sa première peinture), il se considère comme le peintre des gens modestes. Il s'intéresse surtout aux figures - et peine à trouver son style. Puis survient la mort de son père. Il arrive à Paris l'année de la dernière exposition impressionniste (1886). En un clin d'oeil, il apprend d'eux ce qu'il peut en tirer. Il s'empresse de prononcer picturalement leur oraison funèbre en fusionnant le trait brut, la couleur, la vibration et l'émotion : une alchimie impossible avant lui. Il passe d'un humanisme social à l'expression de sa subjectivité, à laquelle il soumet toute représentation et toute perspective.

Comme Cézanne, Van Gogh élève des objets insignifiants à un statut difficilement dicible. Ce n'est pas un hasard si ses tournesols atteignent des prix mirobolants et si les penseurs les plus profonds se sont penchés sur ses peintures de godasses : Artaud, Bataille, Heidegger, Schapiro ou Derrida. Bottines, chaussures, bottes ou sabots, à lacets ou à clous, seules, par paires ou accompagnées d'un pot - mais toujours séparées du pied - elles ouvrent en beauté, autant que les ciels étoilés, à l'énigme de l'art.

Le peintre de la dislocation est aussi celui de la somptuosité; le plus spontané, le plus jouisseur est aussi le plus torturé et le plus intellectuel. S'il s'est tranché l'oreille, c'est pour éviter de trop jouir, au risque de libérer des forces qui le détruiraient. Que ses différents univers soient séparés par un mur était pour lui une douleur insurmontable. A qui marche sur l'abyme, seul l'asile offre un peu d'ordre. Il a beaucoup donné et la société lui a peu rendu; c'est ce déséquilibre qui l'a conduit au suicide.

“J’ai toujours aimé cette toile et comme rien jusque-là n’avait marché, j’ai pensé que je pouvais en tirer quelque chose”
Francis bacon à propos de l' "Autoportait sur la route de Tarascon"